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robert Filliou

image de la lune et pensée pour Robert Filliou et son œuvre à découvrir dans le document ci dessous...

le texte qui suit a été copié sur le site du centre Pompidou :"Robert Filliou dans les collections du musée" "dossier pédagogique"

 

Robert Filliou

Né 999.963 a.a. (après l’art)
(Sauve, 17 janvier 1926 – Peyzac-le-Moustier, 2 décembre 1987)

Autodidacte dans le domaine des arts, Robert FILLIOU dépasse le champ spécifique de la création artistique ; son esthétique s’inscrit dans un processus de renouvellement des valeurs appliqué à tous les secteurs d’activité. Curieux, il s’est nourri de tous les domaines de la connaissance ; il aborde des questionnements tant liés à la gnose (la connaissance suprême qui passe par la connaissance de soi), la métaphysique, la philosophie, la linguistique, l’économie, l’écologie, qu’aux sciences ou aux arts et se présente comme un « animateur de pensée ». Sa production est qualifiée de « propositions artistiques » plutôt que d’œuvres d’art et leur communication se fait dans une activité d’échanges par la mise en place de dispositifs qui invitent à partager et expérimenter à son tour.
Artiste-relais, Robert Filliou nous livre son expérience et invente des « Mind-Openers » (ouvroirs d’esprit), des « outils conceptuels, pour l’esprit et pour la pratique ».

Sa pensée se déploie parallèlement à une quête personnelle empreinte d’humanisme et de foi qui oriente sa création. Dans le contexte des mouvements de protestation et de libération des années 1960, de la contre-culture, son art s’inspire de la logique de la philosophie bouddhiste, et plus particulièrement du bouddhisme tantrique, qui consiste à dépasser la dualité du bien et du mal, à « transformer le poison en nectar » et « lui rendre sa pureté initiale ». Il construit un langage qui joue avec la polysémie et les symboles pour procéder par rebonds et faire surgir le subtil, les paradoxes. Il considère l’art comme une « nouvelle source d’énergie, spirituelle et matérielle » susceptible de dépasser les situations de crise et d’antagonismes et définit la triade « arts, sciences et spiritualité » comme vecteur de transformation du monde.

Artiste de génie, il développe une création protéiforme et prolifique, ouverte et drôle : pièces de théâtre, poésies d’action, performances de rue, happenings, poèmes-objets, envois postaux, livres, écrits, assemblages, multiples, jeux, outils conceptuels, environnements, Centres de Création Permanente, films et vidéos… Homme de sciences, il analyse tant les modèles économiques et sociaux que les lois physiques qui régissent le monde. De famille protestante, devenu familier de la pensée bouddhiste, il nous sensibilise à la voie vertueuse de la sagesse qui concilie la libération et la compassion, la responsabilité et l’altruisme.

Quelques notions-clés Retour haut de page

Recherche sur les Principes d’Économie Poétique Retour haut de page

À présent, il devient nécessaire d’incorporer la leçon de l’art en tant que liberté de l’esprit dans la vie quotidienne de chacun, afin que celle-ci devienne un art de vivre.

RF, livre Teaching and Learning as Performing Arts, 1970, trad. fr. p.23

Tout l’œuvre de Robert Filliou accompagne le projet de détourner les « principes d’économie politique » de John STUART MILL (penseur libéral et économiste britannique du 19e siècle) en Principes d’Économie Poétique fondés, non plus sur des critères de rendement et de rentabilité capitalistes, mais sur une nouvelle théorie de la valeur qui vise la création d’un nouvel « art de vivre ». Inspiré par les écrits de Charles FOURIER, socialiste et utopiste du 19e siècle qui a défini de nouveaux rapports sociaux concernant la totalité de la vie, pour une « harmonie sociétaire » et une « harmonie universelle », Filliou cherche à introduire la vie, le désir et la joie dans les équations économiques des systèmes productifs pour renouer avec les processus dynamiques et avec le principe de plaisir.

L’innocence et l’imagination, les outils de la Création Permanente comme moteur d’un changement

C’est ce que proclame l’expression « l’art est ce qui rend la vie plus intéressante que l’art », prolongeant la pensée dadaïste du début du 20e siècle qui affirmait déjà que « la vie est plus intéressante que l’art ». Filliou avance que des qualités telles que « l’innocence, l’imagination, la liberté et l’intégrité », bridées dès l’enfance, peuvent devenir le moteur d’un changement. « Le plus important à apprendre aux enfants est l’utilisation créatrice des loisirs », écrit-il, pour les aider à se réaliser et à investir par la suite la sphère professionnelle avec créativité et éthique. Loin de la société des loisirs, qui a fait du temps libre une marchandise formatée, Filliou suggère d’incorporer dans nos vies, dans tous les secteurs d’activité, « l’innocence et l’imagination », pour « passer du travail comme peine au travail comme jeu », pour que le changement des valeurs se répercute dans le système économique et que s’instaure une Économie Poétique.

La Création Permanente d’une liberté permanente & The Eternal Network / La Fête permanente Retour haut de page

Nous devons avoir la mémoire du futur.

RF, extrait du livret inclus dans l’édition Recherche sur l’origine, éd. Städtische Kunsthalle, Düsseldorf, 1974

« La création permanente d’une liberté permanente », dont parle Filliou, vise des fins et des moyens très proches du « secret de l’harmonie » décrit par FOURIER, de la pédagogie expérimentale mise en place par Célestin FREINET au début des années 1930, ou de propositions artistiques et politiques de Joseph BEUYS, pour qui « le vrai capital c’est l’esprit », la créativité et la spiritualité étant les vecteurs d’une « thérapie de l’organisme social », d’une nouvelle « plastique sociale / Soziale Gestaltung ».
Pour Filliou, « la création permanente est une œuvre collective. Elle ne peut-être parfaite au niveau de ses composantes, précise-t-il, mais seulement en tant que tout, dès qu’un nombre croissant de gens la met en pratique ». Plusieurs Centres de la Création Permanente, tels que La Cédille qui Sourit et le Poïpoïdrome, ont activé cette intention de communiquer et de partager cette dynamique collective.

Les champs de la Création

En 1968, Filliou et BRECHT annoncent « l’ouverture de The Eternal Network » – traduit en français par « la fête permanente » – qu’il faut entendre comme l’« élargissement du concept de l’art au concept de la Création Permanente ». Ils expliquent que The Eternal Network est formé du réseau horizontal qui regroupe l’ensemble des activités humaines, dont l’art, et du réseau vertical des activités supranaturelles qui nous relie au cosmos. Ainsi, il faut appréhender la notion de Création Permanente dans la multitude des champs de la Création et de leurs processus d’évolution comme la synergie des différents règnes du vivant, humain, animal, minéral, végétal et divin.
« La création permanente d’une liberté permanente » évoque donc l’ambition d’un épanouissement personnel qui trouverait une réelle dynamique en ayant à l’esprit les mouvements collectifs, en évoluant dans le respect des règnes du vivant. C’est ce qu’énonce le concept « built-in versus built-upon / intégrer plutôt que surajouter », un Principe d’Économie Poétique valable tant sur le plan individuel pour « se libérer » que sur le plan collectif pour ne pas entraver le long processus d’évolution des idées ou de la Création.

Le Principe d’Équivalence, un concept lié à la notion de « tout » dans le continuum espace-temps à quatre dimensions Retour haut de page

Rien n’est ni bien ni mal c’est simplement par l’esprit qu’il le devient.

RF, paroles issues d’une performance filmée, Gong Show, 1977, trad. fr. par Sylvie Jouval

Avec le Principe d’Équivalence, développé en 1968, Filliou inscrit « toute progression, toute idée, toute pensée » dans le réseau très vaste de The Eternal Network et dans le temps étendu de la Création. Ce principe, tel un outil conceptuel qu’il utilise dans une prolifération d’œuvres, propose de considérer, en termes de Création Permanente, trois propositions comme équivalentes : « bien fait », « mal fait » et « pas fait » — cf. notices.

L’équivalence n’est pas l’égalité, une valeur ne se substitue pas à l’autre ; au contraire, les trois propositions se complètent et le « bien fait », le « mal fait » et le « pas fait » se manifestent, selon Filliou, comme un tout naturel et spontané. La Création Permanente envisagée dans sa spontanéité renvoie à la Création divine, à l’idéal et à la beauté de la Nature qui, comme le dit Karl HEISENBERG, l’un des pères de la physique quantique, assure « la conformité des parties les unes avec les autres et avec le Tout ».

La notion d’équivalence

À la notion d’équivalence Filliou fait correspondre le symbole du trigramme formé de trois traits pleins superposés ( ≡ ), « le grand yang » qui, dans le Yi King - Le Livre des transmutations, un des classiques de la Chine ancienne, désigne le Créateur et son image, le Ciel. Assimilé au principe divin créateur, le trigramme représente tant l’énergie primordiale conçue comme mouvement − c’est-à-dire fondée sur « la puissance du temps et la persévérance de la puissance du temps, la durée » −, que la force issue de l’activité subtile du sage (Yi King, éditions Librairie Médicis, Paris).

Par ailleurs, Filliou emprunte, pour formuler son principe, sa terminologie à Albert EINSTEIN qui, en 1907, augmentait la Théorie de la Relativité Restreinte par l’énoncé du Principe d’Équivalence et démontrait une possible flexibilité du temps. Dans le continuum espace-temps, la matière et les corps sont soumis à la gravité qui courbe l’espace et ralentit le temps alors que l’anti-matière (qu’on ne sait pas encore définir et qu’on nomme vide, éther) et l’extra-être (corps éthéré ou « incorporel » selon les philosophes stoïciens) échappent à la gravité et circulent a priori dans tous les sens de ce continuum espace-temps à quatre dimensions.
Filliou a retenu les différentes propriétés physiques de la matière et de l’anti-matière. Il décrit une spatialisation du temps qui redistribue les notions de passé, présent et futur propres au temps psychologique et se distingue d’un flux continu et non-réversible. Ainsi, exprime t-il un temps plus intuitif qu’il formule comme « le pauvre privilège du poète » : le poète « voit dans tous les sens à la fois ». Il le symbolise par un portrait bicéphale qui, dans le présent, embrasse à la fois le passé et le futur.

Un principe créateur

Filliou formalise avec le principe « bien fait ≡ mal fait ≡ pas fait » le processus de la création dans la multitude de ses manifestations, à la fois matérielles et immatérielles. Cette modélisation trouve des échos pertinents dans de nombreux champs d’applications. Filliou demande d’ailleurs ce « qu’en pensent les théologiens et les scientifiques ? » (livre Teaching and Learning as Performing Arts, 1970).
Des points de vue artistique et philosophique, on peut analyser le « bien fait » comme modèle ou idéal selon les canons de la nature, le « mal fait » comme événement ou lieu de l’apprentissage et de l’expérience, et enfin le « pas fait » comme concept, axiome ou principe.
D’un point de vue métaphysique, les bouddhistes évoquent trois mondes qui coexistent et interagissent, le monde vital (assimilé au « bien fait »), le monde physique (assimilé au « mal fait ») et le monde mental dont l’image est le 3e œil (assimilé au « pas fait »). D’après les textes, le monde vital forme un plan intermédiaire qui relie le monde physique et le monde mental dans la manifestation des événements. On trouve une similitude dans la théologie chrétienne qui s’accorde à dire que, si Dieu est unique, sa manifestation est triple avec l’économie du Père, du Fils et du Saint-Esprit.
Ainsi, les trois propositions du Principe d’Équivalence sont liées par ce principe créateur qui rétablit l’équilibre entre les parties, entre les trois mondes et assure l’Unité avec une possible harmonie. Et s’il s’applique à tout développement et à toute pensée, il « illustre en particulier la création permanente de l’univers ».

Dans ses autoportraits déclinés selon le Principe d’Équivalence (cf. notice And So On End So Soon – Done 3 Times), cette économie trinitaire se redistribue dans le champ du visible avec le « mal fait » en tant qu’homme, dans le champ de l’invisible avec le « bien fait » selon des traits subtilisés (le « Je Idéal, Ich Ideal » de Sigmund FREUD repris et développé par Jacques LACAN) et avec le « pas fait », non figuré mais simplement nommé par homonymie, en tant qu’Avatar ou principe divin actif.
Robert Filliou disait que « [sa] plus grande contribution à l’art est d’être le spécialiste du mal fait » et, qu’idéalement, il aimerait « tendre vers le pas fait », c’est-à-dire une « inactivité active » conformément à l’exercice de vacuité et de méditation zen, le « non-agir », qu’il pratiquait et qui ouvre sur le monde sensible du vivant dans toutes ses manifestations.

Lorsque Filliou présente un ensemble d’œuvres réalisées selon le Principe d’Équivalence, il l’intitule « Exposition pour le 3e œil » (Wide White Space Gallery, Anvers, 1971), le 3e œil étant entendu comme Œil divin qui saisit tout ce qui se meut ou comme siège de l’activité immobile du yogin ouvert au Soi ou encore, propose l’artiste, comme la possibilité de « perdre le poids du passé, puis de l’avenir, puis du présent ».

Robert Filliou, se présente volontiers comme « un harmonisateur » et « rêve de l’invention d’un instrument de musique [qu’il appelle] harmonisatorium, exactement comme il y a l’harmonium ».

Le Territoire de la République Géniale Retour haut de page

Un monde d’artistes. Le travail comme jeu.

RF, livre Teaching and Learning as Performing Arts, 1970, trad. fr. p.73

Un territoire où exercer nos talents innés

En regard de ce que Filliou nomme l’« économie de la prostitution » – les répercussions des décisions politiques et économiques essentiellement dirigées vers une plus-value financière comme la division du travail, le gaspillage, la fracture économique et sociale nord/sud, la dégradation de la biosphère… –, il essaie, à partir d’une proposition poétique, d’établir un nouveau dialogue. Il pense qu’« en étant homme ou femme on est un génie mais que la plupart des gens l’oublie (ils sont trop occupés à exploiter leurs talents) ». Il propose d’exercer nos talents innés plutôt que nos talents acquis, de faire preuve d’innocence et d’imagination et non pas de s’inscrire sans créativité dans la répétition d’un savoir-faire acquis, de nous responsabiliser sans faire appel à une autorité supérieure.
Considérer le génie c’est retrouver la spontanéité et la candeur de l’enfant qui est en nous et « avoir du génie c’est avoir des suiveurs et changer d’erreur », dit Filliou !

J’essaie d’imaginer s’il y a une « proposition artistique » aux problèmes actuels dans le monde.  (…) J’entends par « proposition artistique », une solution distincte de celle proposée par les scientifiques ou les politiciens.
C’est pourquoi je parle de
     Participation au rêve collectif
     Création permanente d’une liberté permanente
Mais je n’ai pas de réponses, simplement des questions. C’est une recherche.
Je ne peux mener cette recherche seul et espère que d’autres y participeront.
J’insiste sur l’idée que la recherche est bien le privilège de ceux qui ne savent pas et non pas le domaine de ceux qui savent (comme moi, et peut-être vous !).

RF, insert au sein du catalogue Research at the Stedelijk / Nov.5 – Dec.5 1971, traduit de l’anglais par Sylvie Jouval

En présentant le projet de fonder un Territoire de la République Géniale (1971), Filliou accueillait les visiteurs pendant un mois dans une salle du Musée d’Amsterdam, partageait des idées sur la République idéale de chacun... Le catalogue, publié à la fin de la manifestation, rassemble une sélection des échanges et réactions. CONSTANT, artiste situationniste et cofondateur de Cobra, y fait le lien avec son projet New Babylon ; les enfants sont invités à créer leur propre Sculpture Gouvernementale (avec le sous-titre Ô mages, que sont les enfants !) en exposant leurs idées sur les sujets qui les préoccupent le plus et qui pourraient nourrir la réflexion des adultes…

Notices d’œuvres Retour haut de page

Création permanente - Principe d’Équivalence : bien fait, mal fait, pas fait Retour haut de page

Principe d'Équivalence : bien fait, mal fait, pas fait, 1968 (détail)

Principe d'Équivalence : bien fait, mal fait, pas fait, 1968 (détail)
1. Le module est décliné en trois versions : bien fait, mal fait, pas fait
2. La série 1 devient l’élément du développement de la deuxième série
3. À partir de la série 2…
4. À partir de la série 3…

Un module iconographique : « une chaussette rouge dans une boîte jaune »

Le Principe d’Équivalence propose de considérer trois possibilités de réalisation comme équivalentes – bien fait ≡ mal fait ≡ pas fait – en termes de Création Permanente — cf. notions clés.
Dans la première œuvre qu’il réalise formellement, Robert Filliou applique le Principe d’Équivalence à un module : « une chaussette rouge dans une boîte jaune ». Le choix de cette iconographie tient à la fois à ses fonctions poétique et symbolique. Filliou raconte qu’un tel objet se trouvait dans son appartement-atelier, rue des Rosiers à Paris, au début des années 1960 et que, lorsque des personnalités le visitaient pour s’informer de son travail, la réception souvent perplexe laissait place à des questions : « Et cela, qu’est-ce ? ». « Eh bien, répondait-il, c’est une chaussette rouge dans une boîte jaune ! », laissant le visiteur stupéfait. Que cet assemblage ait été réalisé dans la perspective d’une création ou pas, il devint l’objet d’une anecdote qui aura beaucoup fait rire Filliou et BRECHT, au point que BRECHT confectionna à son tour « An Hommage to Robert Filliou’s Red Sock in Yellow Box / Un hommage à la chaussette rouge dans une boîte jaune de Robert Filliou » (1965).

Imaginons une rencontre entre les deux artistes : BRECHT est américain, Filliou bilingue et on conçoit facilement que le mot « chaussette » soit phonétiquement assimilé à « Show Set », qui peut être traduit par « l’objet du spectacle ». Aussi, lorsque Filliou réfléchit au développement du Principe d’Équivalence, alors qu’il est installé à Villefranche-sur-Mer en compagnie de BRECHT, c’est cet élément qu’il retient implicitement, « une chaussette rouge dans une boîte jaune » ou, plus spécifiquement pour l’œuvre qui nous intéresse, « une chaussette rouge dans une simple boîte en bois », soit un axiome : le rouge dans le jaune.

Symboliquement, même si chaque couleur porte une ambivalence, le jaune est généralement considéré comme lumineux, solaire, alors que le rouge renvoie au feu, à la nécessité de marquer un arrêt face à un danger (feu de signalisation, par exemple), voire à l’érotisme dans son emprise sensorielle.
Le bois (matérialisé par des boîtes de cigares recyclées fixées sur des planches) symbolise, quant à lui, la « demeure mystérieuse des Dieux » (Dictionnaire des symboles, éditions Bouquins), chaque Dieu ayant un bois qui lui est consacré.
Cette iconographie, ce module d’exposition, peut donc s’interpréter comme une forme de violence contenue par un principe lumineux.

Le processus de construction – une spatialisation du temps

Telepathic Music n°5, 1976-78

Bien fait, mal fait, pas fait : le tampon de Principe d’Équivalence – Création permanente

Principe d’Équivalence : bien fait, mal fait, pas fait présente ce module, décrit ci-dessus, dans un processus en évolution. Cinq séries se succèdent pour former un ensemble à l’impact visuel fort (près de dix mètres de long sur deux mètres de hauteur). Vue de près, l’installation porte des tampons (malheureusement en partie effacés par les altérations du temps) : en mention circulaire du tampon, on peut lire « CRÉATION PERMANENTE – PRINCIPE D’ÉQUIVALENCE » et, au centre,  « BIEN FAIT », « MAL FAIT » et « PAS FAIT », trois possibilités de réalisation, dont l’une, tour à tour, est cochée par l’artiste.
Ainsi des données linguistiques sont mises en relation avec l’objet. Les données physiques de celui-ci permettent au spectateur de comprendre le système de composition de l’œuvre, un processus en expansion qui reste inachevé dans sa formalisation et peut se poursuivre mentalement à l’infini.

1. Le module est décliné en trois versions

  • Bien fait : la chaussette bien tissée est dans une proportion harmonieuse par rapport à la boîte.
  • Mal fait : la chaussette est disposée à l’envers (haut-bas inversés).
  • Pas fait : la mention « Red Sock » (Chaussette rouge) est inscrite au fond de la boîte avec deux agrafes apparentes.

Ces trois boîtes sont disposées côte à côte sur une planche de bois, à intervalles réguliers, le bien fait n’existant pas isolément mais étant associé d’emblée au mal fait et au pas fait. L’ensemble des trois propositions fixées sur la planche – avec deux pitons ronds qui le fixent au mur et deux crochets-cédille, utilisés presque invariablement sur la tranche inférieure (avec les crochets en S) pour suspendre des parties entre elles ou spécifier que l’œuvre peut se poursuivre, ne constituant qu’un état transitoire – est considéré comme « bien fait » et constitue la première série du développement suivant.

2. La série 1 devient l’élément du développement de la deuxième série

  • Bien fait : la série 1 est reproduite telle quelle.
  • Mal fait : des variantes apparaissent. Ce ne sont plus des chaussettes qui sont placées dans les boîtes, mais des représentations en trompe-l’œil, avec des formes de chaussettes découpées dans de la feutrine rouge (dans un sens puis en inversion droite-gauche) ; quant à la troisième boîte, si l’idée, « Red Sock », y est inscrite, cette fois le couvercle pivotant de la boîte est fermé par trois morceaux de scotch.
  • Pas fait : une planche de bois brut vierge, si ce n’est le tampon portant la mention « pas fait » et, à nouveau, deux crochets-cédille à sa base.
    Comme précédemment, ce deuxième ensemble est considéré comme « bien fait » et décliné dans la série suivante.

3. À partir de la série 2…

Le même principe est reproduit avec des tasseaux intermédiaires qui différencient l’ensemble de trois planches superposées et décliné bien fait (série 2), « mal fait » (les chaussettes sont disproportionnées par rapport à la boîte et on ne les distingue plus) et « pas fait » (une planche de bois brut avec deux pitons à la base).
L’ensemble qui couvre une grande partie du mur dans sa hauteur devient l’élément du développement de la série suivante.

4. À partir de la série 3…

Selon le même procédé, les nuances se multiplient et, pour la première fois, dans cette quatrième version, les déclinaisons se succèdent non plus verticalement mais horizontalement avec amplitude et le « pas fait » (une planche vierge tamponnée, de plus en plus conséquente puisqu’elle occupe toute la hauteur de l’œuvre) ne comporte plus de crochets-cédille à sa base comme si cet ensemble « pas fait » était devenu en soi autonome ou achevé.

5. À partir de la série 4…

(Le même procédé est répété)

Notons que les séries peuvent être accrochées de la gauche vers la droite comme, inversement, de la droite vers la gauche induisant un effort de lecture et d’analyse différent. Dans le continuum espace-temps à quatre dimensions du Principe d’Équivalence, la spatialisation temporelle devient réversible — cf. notions clés ; on peut inscrire le point d’origine de la progression, du « show » dans le passé (lecture de gauche à droite) comme dans le futur (lecture de droite à gauche).

Un principe de non-jugement

Après avoir assimilé la progression que trace l’application du Principe d’Équivalence à « une chaussette rouge dans une simple boîte en bois », on constate plus globalement que seulement 5 boîtes sur la totalité sont « bien faites » (les premières de chacune des séries tamponnées « bien fait ») et que la plupart d’entre elles sont « mal faites » mais constituent une variété riche en trouvailles, en ingéniosités (trompe-l’œil, jeu d’échelles, manifestations en positif ou négatif, camouflages…) mais aussi en aberrations (pelote de laine à la place de la chaussette, multiplication des chaussettes dans une même boîte, boîte altérée par un trou, voire sans fond…) : le « show », le spectacle évolue en permanence et se précise au fur et à mesure des expérimentations avec l’introduction de nouvelles propositions et des erreurs à corriger…

On s’aperçoit aussi très vite, dès la deuxième série, que le « bien fait », le « mal fait » et le « pas fait » se trouvent mêlés, en interaction, au sein du processus de la Création Permanente puisque chaque ensemble (bien fait, mal fait, pas fait) est intégré à un autre, à son tour tamponné et décliné en trois versions. Les trois principes de création se trouvent ainsi enchevêtrés. Il y a du « bien fait » et du « pas fait » dans le « mal fait »… Ni le « bien fait » ni le « mal fait » n’existent isolément.
Inspiré des œuvres de William SHAKESPEARE, Filliou affirme un « principe de non-jugement » : selon lui, « rien n’est ni bien ni mal c’est simplement par l’esprit qu’il le devient ».

Le PRINCIPE D’ÉQUIVALENCE se manifeste dans toute croissance, matérielle ou immatérielle et c’est pourquoi je me pose la question de savoir si au moment de la création de l’univers le geste du « Créateur » n’a pas été celui de mettre quelque chose comme une chaussette rouge dans quelque chose comme une simple boîte en bois, le PRINCIPE D’ÉQUIVALENCE assurant par la suite la création de l’Univers. (…)
Et je pose ceci :
Qu’étant donné que ce que vous pouvez voir ici n’est qu’une partie infinitésimale de ce que mes séries auraient pu être si je n’avais choisi de m’arrêter au pas fait après la cinquième œuvre, ce que nous appelons UNIVERS, CRÉATION, CRÉATEUR, DIEU, etc., sont, eux aussi, en essence PAS FAITS.

RF, in Opus International, « Les Arteurs », n°22, 1971, p.23

And So On End So Soon : Done 3 Times Retour haut de page

And So On End So Soon : Done 3 Times, 1977

And So On End So Soon : Done 3 Times, 1977
Vidéo (anglais). 1 Pouce PAL, couleur, son, 32 mn

Voir un court extrait de la vidéo dans l’Encyclopédie Nouveaux medias

Le double comme figure du Principe

Robert Filliou réalise cette vidéo lors d’une résidence d’artiste au Western Front à Vancouver, un des premiers centres de production et de distribution multimédia dirigés par des artistes. Avec And So On End So Soon (« Et ainsi de suite finit si vite » que l’artiste traduit par « Etc., et ça sera »), le Principe d’Équivalence est appliqué à sa propre personne — cf. notions clés. Pour le développer, il reprend un dispositif qu’il a initié au théâtre avec la pièce L’Esclave F (écrite en 1963) – F pour Filliou, ou un autre patronyme si c’est un autre acteur qui la joue. F obéit et désobéit aux ordres que lui donne un alter ego : une voix-off préenregistrée qui l’invite à se mettre à nu tant physiquement que spirituellement et métaphoriquement.
Ici, c’est par le truchement des procédés audiovisuels que le double autoritaire ou guide (parce que « bien fait ») se manifeste sur l’écran d’un moniteur placé à côté de lui.Après un encart qui annonce « The Eternal Network presents : R. Filliou », inscrivant l’artiste au sein du vaste réseau The Eternal Network, la « Fête permanente » de la Création Permanente, la vidéo se décompose en trois parties.

1. Bien fait.

Filliou répète ce que son double, présent à ses côtés sur l’écran vidéo − un cadrage serré sur le visage bandé de l’artiste, malgré tout reconnaissable à sa voix –, lui ordonne de dire et de faire. Plusieurs actions ubuesques se déroulent pendant une dizaine de minutes.

- Entre donc. Salue
Dis : « O » 
- O
- Cherche une pierre. Cherche un œuf
Dis : « La pierre tombe sur l’œuf »
- La pierre tombe sur l’œuf
- Dis : « Dommage pour l’œuf ! »
- Dommage pour l’œuf !

Extrait des dialogues de la vidéo, traduit de l’anglais par Sylvie Jouval

2. Mal fait.

Les mêmes actions sont reprises mais dans des versions altérées pour le son, l’image ou le cadrage, avec des erreurs, des maladresses dans leur déroulement.

3. Pas fait.

Le cadrage présente, cette fois-ci, le reflet de l’artiste dans un miroir, puis se resserre et nous fait basculer de l’autre côté du miroir. Là, Filliou explique l’intention, l’idée d’un projet qu’il souhaite réaliser : faire une vidéo qui répèterait des actions trois fois ; il ajoute que c’est précisément ce qui se déroule dans cette vidéo ; considérant les trois parties réalisées (30 minutes environ) comme « bien fait », il dit qu’il recommencera le processus en appliquant le Principe d’Équivalence avec les déclinaisons « mal fait » et « pas fait » et annonce les durées approximatives des séries si elles étaient développées :
1ère série - 10 minutes (le « bien fait » énoncé précédemment en 1)
2e série - 30 minutes (l’ensemble des trois parties décrites)
3e série - 90 minutes (en appliquant à la série précédente les déclinaisons « mal fait », et « pas fait ») …
et note que, dans une série de 100, « cela durerait plus longtemps que la non-existence de l’univers. De sorte que la plus grande part de la vidéo, naturellement, n’est pas faite ».
Il précise aussi qu’« il n’y a aucun jugement de valeur normatif entre bien fait et mal fait ; il s’agit simplement d’un contraste auquel est ajouté le pas fait ».

De l’autre côté du miroir

Contrairement au Principe d’Équivalence appliqué à « une chaussette rouge dans une simple boîte en bois », le « bien fait », ici, n’existe qu’une fois, comme modèle, pour évoluer ensuite selon les propositions « mal fait » et « pas fait ». De plus, le « pas fait » diffère radicalement de nature.

Avec le « pas fait » de And So On End So Soon, on passe de l’autre côté du miroir (passage dans un monde connexe que Filliou traite dans d’autres œuvres par le motif « Upside-Down World », c’est-à-dire des images inversées haut-bas) : il emploie un temps futur pour une action qui, du point de vue du spectateur, est passée ; il synchronise le temps du monde-miroir et notre temps humain en annonçant : « ce que je ferai, en fait, c’est ce que je fais à présent » ; puis poursuit son exposé de prolongation des séries dans un temps qui, en français, se traduit tant par l’imparfait que le conditionnel. Avec Filliou, le présent du « pas fait » embrasse à la fois le passé et le futur du « mal fait ». Tout comme Lewis CARROLL auquel il se réfère volontiers, Robert Filliou nous fait passer mentalement dans le monde-miroir et joue des paradoxes comme la possibilité de circuler dans le continuum espace-temps, d’interagir avec un double qui existe dans l’autre monde.

On pourrait résumer le principe trinitaire de Filliou appliqué à l’être humain de la façon suivante :
- l’homme (« mal fait »), à l’image de Dieu, ingénieux et créatif mais limité par sa matérialité,
- le double incorporel (« bien fait »), un double subtil dans le monde-miroir,
- le principe actif divin (« pas fait »), « Non-Né » selon la terminologie métaphysique asiatique, principe primordial qui préexiste à toute manifestation, entendu comme Dieu en nous, le Soi.
Ainsi, les trois entités sont liées par le Principe d’Équivalence ; elles évoluent ensemble selon des lois physiques différentes et créent une interaction entre le monde humain et le monde-miroir.

Telepathic Music n°5 Retour haut de page

Telepathic Music n°5, 1976-78

Telepathic Music n°5, 1976-78
Installation
33 trépieds de pupitres métalliques, 64 cartes à jouer, 32 petits cartels jaunes, 1 cartel de couleur bleu (signé), vis, rondelles et écrous
Hauteur : 142 cm
Dimensions de l'installation variables

Communauté virtuelle et spectateurs sur une même longueur d’onde…

La pièce Telepathic Music n°5 / Musique télépathique n°5 se compose de 33 trépieds de pupitres de musique métalliques avec assemblages. Sur l’un d’eux, un cartel bleu donne l’explication du titre telle la règle du jeu. Sur les 32 autres pupitres est fixée au sommet la figure d’une carte à jouer (64 cartes de 2 jeux complets de 32, deux cartes identiques étant collées dos-à-dos à la tête de chaque pupitre, de sorte que la figure est vue de toute part). Aux deux tiers du tuteur, un cartel jaune propose des locutions linguistiques typographiées recto-verso.

De l’autre côté
Pêle-mêle
Sur-le-champ
À rebours
Quoi qu’il arrive
À la renverse
Cahin-caha
En nul autre endroit

Exemples de cartels, un par pupitre et tous différents

Installés en spirale ou libres dans l’espace, les 33 pupitres semblent représenter les sujets d’une communauté dans sa diversité ou, en référence au titre Telepathic Music, les musiciens des ensembles cœur, carreau, trèfle et pique jouant une partition que les visiteurs peuvent lire de leur côté. Cependant, Filliou suggère que ces derniers interfèrent aussi sur le développement musical par la parole ou la pensée ; ils échangent télépathiquement entre eux mais aussi virtuellement avec les entités non animées (les pupitres).

Lorsqu’on veut démontrer la télépathie, quelqu’un regarde une carte, et loin de là quelqu’un d’autre la devine ou ne la devine pas.
Ici, c’est d’une proposition artistique qu’il s’agit : si, au hasard, ici-même, deux – ou plusieurs – personnes posent un même regard sur une même carte, ne se rencontreront-elles pas sur une même longueur d’onde
SI BRIÈVEMENT SOIT-IL
R.Filliou

Texte du cartel bleu placé au sommet d’un des 33 pupitres de Telepathic Music n°5

Telepathic Music N° : From Madness to Nomadness Retour haut de page

Telepathic Music N° : From Madness to Nomadness, 1979

Telepathic Music N° : From Madness to Nomadness, 1979
Craies de couleur et fusain sur toile, œillets
300 x 271 cm

Entre monde matériel et monde immatériel

Dans les années 1970, Robert Filliou a initié un projet de cinq milliards d’années qu’il nommait « From madness to nomadness », qui peut être traduit par « de la folie à l’absence de folie » ou par « de la folie au nomadisme » et, comme le dit l’artiste, « de la folie au fou rire ». Il formalise avec cette œuvre l’idée d’une écoute sensible qui emprunte une autre voie que celle limitée aux cinq sens (la vue, l’ouïe, le toucher, le goût, l’odorat) ; ces sens pouvant, dans la réalité des phénomènes, selon les philosophes et les métaphysiciens, maintenir un sujet dans l’illusion – comme le décrit PLATON dans l’Allégorie de la caverne, par exemple. Filliou nomme cette sensibilité autre « télépathique musique ».

Une de mes amies, rencontra un jour, à Paris, un lama tibétain qu’elle avait connu quelques mois auparavant aux Indes.
Elle lui demanda,
- Que pensez-vous de l’Ouest à présent ? Trouvez-vous que nous sommes différents de vous ?
Le lama tibétain lui répondit,                                 
- Nous autres tibétains, voyez-vous, avons l’habitude de regarder la vie comme si c’était la télévision ; alors que vous autres, occidentaux, vous regardez la télévision comme si c’était la vie !

RF, vidéo Télépathique Musique N°2, 1979-80

Selon les textes bouddhistes, le monde matériel (le monde terrestre représenté par un carré) est en relation avec le monde immatériel d’ordre divin (les cieux représentés par un cercle) et la télépathie, une écoute sensible de la formation de la pensée, peut établir une liaison entre les deux mondes.
En prenant l’exemple de la formation des rêves et de l’inconscient, Filliou formalise The Eternal Network, ce réseau ou cette matrice qui relie les mondes par une croix – le réseau horizontal du monde matériel et humain et le réseau vertical lié au cosmos ; réseaux qui s’entrecroisent, entrent en interaction. L’énergie de cette communication télépathique, ou « esprit en état de marche », est représentée par une circulation ondulatoire. Qu’il s’agisse du subconscient humain ou de la parole divine transmise à l’homme, le Logos, le titre invite à considérer que la conscience des mondes psychiques et sensibles rend plus léger, permet de « changer de solitude », dit-il souvent, et de passer « de la folie à l’absence de folie ».

Teaching and Learning as Performing Arts − Part II Retour haut de page

Pas de photo

Teaching and Learning as Performing Arts – Part II , 1979
Vidéo (anglais), couleur, sonore, 82’
Réalisation : Robert Filliou
Production : Kate Craig, Western Front, Vancouver
Avec Robert Filliou, Glenn Lewis, Taki Bluesinger, Marianne Filliou, Aminma Filliou et Roy Kiyoota
Achat 1996 - AM 1996-88

Voir un court extrait de Teaching and Learning as Performing Arts – Part II, dans l’Encyclopédie des Nouveaux medias

C’est une bande qui est une introduction à l’intérieur de ce projet « from madness to nomadness », ce plan de cinq milliards d’années. J’appelle ça « video universecity ». Et j’ai l’intention de voir s’il est possible de mettre en pratique ce qu’il y a une dizaine d’années ou un peu plus j’avais proposé comme une technique artistique (…) ou une façon de vivre l’art, ou de prendre la vie comme un art, ce que j’avais appelé « teaching and learning as performing arts », « enseigner et apprendre considérés comme une performance ». Tout est performance dans ce sens-là.

RF, Entretien avec Jacques Donguy à Peyzac-le-Moustier, le 25 mars 1981
in Jacques Donguy, Le geste a la parole, éditions Thierry Agullo, Paris, 1981, pp. 45-48

La vidéo comme technique de participation potentielle du spectateur

Après la publication du livre Teaching and Learning as Performing Arts (écrit au milieu des années 1960 et édité en 1970 aux éditions König), Filliou reprend le projet à la fin des années 1970 en utilisant, cette fois, le médium vidéo. À nouveau en résidence au Western Front à Vancouver grâce à une bourse du Canadian Arts Council  (Western Front où il avait déjà séjourné en 1977 et créé, entre autres, Porta Filliou, une vidéo qui synthétise, sous forme d’abécédaire, ses propositions artistiques), il souhaite exploiter les potentialités de ce médium comme technique de participation du spectateur. Dans le premier volet livresque, des espaces étaient laissés vacants pour que le lecteur devienne co-auteur, des adresses où renvoyer des idées étaient mentionnées pour que l’échange puisse se concrétiser…

Cette fois, dans le développement vidéo, Filliou présente des actions, des conversations ou des performances, filmées selon des dispositifs qui suggèrent des échanges concrets (entre acteurs) et potentiels (avec le spectateur) :
- Filliou engage une discussion avec Allan qu’il ne connaît pas, un spectateur curieux qui lui rend visite, mais les deux hommes ne se font pas face, l’artiste n’est présent que par l’intermédiaire de l’écran d’un moniteur, comme pour spécifier deux situations géographiques différentes. Filliou joue cependant de ce décalage et crée des situations de proximité en demandant, par exemple, à Allan de lui apporter un tableau sur lequel il va tracer une carte de France et la localisation de sa ville natale…
- Filliou reprend le dispositif de la pièce L’Esclave F, avec l’artiste et son double (double présent par une voix-off ou bien son image filmée diffusée sur un écran), pour nous chanter une chanson ou nous conter un poème, Four Dimensional Space-Time Continuum / Continuum espace-temps à quatre dimensions (issu de la pièce de théâtre A Classical Play de 1958 et publiée en 1963 dans la revue KWY, n°11, Paris).
- Avec une caméra en plan fixe, cadrée frontalement à hauteur du buste, Filliou engage un dialogue avec un spectateur potentiel, se présente, pose des questions, prend un petit déjeuner en commentant les nouvelles du journal…
- Avec Skeye Analysis / Analyse des C’yeux – jouant sur « sky » (ciel) et « eye » (œil) –, du visage de l’artiste qui regarde le ciel tout en nous parlant, un travelling laisse découvrir le ciel et le paysage qu’il commente.
- Avec Breakfasting with Roy Kiyooka / Petit déjeuner avec Roy Kiyooka, un ami japonais, par le truchement de films préenregistrés et visionnés sur écran, par l’alternance des points de vue, Filliou utilise virtuellement, avant l’heure, un dispositif de visioconférence où la communication fonctionne sur le mode de l’échange direct.

Il divulgue dans Teaching and Learning as Performing Arts − Part II des applications de sa pensée et de ses créations propres à servir d’exemples comme techniques participatives dans l’enseignement. Il sous-titre poétiquement le film, Video Universecity, et étend la géographie d’une ville à l’univers entier grâce à des outils audiovisuels comme la vidéo.

La Fondation Poïpoï présente : Hommage aux Dogons et aux Rimbauds Retour haut de page

Robert FILLIOU et Joachim PFEUFER
1978, exposition au Centre Georges Pompidou

Le projet et ses déclinaisons

Dès 1964, Robert FILLIOU et son ami Joachim PFEUFER, architecte et urbaniste américain, présentent sous forme de plans et de maquettes, accompagnés d’un descriptif du parcours, un projet de Centre de Création Permanente. Le nom qu’ils lui donnent fait référence aux Dogons et à leur ritualisation humble et pudique de la rencontre par une série de salutations (salut, soit « Poï-Poï »).
Ainsi, le Poïpoïdrome inviterait les visiteurs à suivre un parcours presque initiatique, qui renverrait de l’individuel au collectif, de l’introspection à l’ouverture de l’esprit, en passant par une succession de salles agencées en spirale : « le pré-poïpoï, l’anti-poïpoï, le post-poïpoï, la poïpoïthèque, l’atelier poïpoï et le poïpoïdrome proprement dit » occupé en son centre par le « poïpœuf », représentation symbolique de l’œuf cosmique face auquel le visiteur serait invité à méditer.

La confrontation entre une culture africaine ancestrale et celle d’un pays capitaliste devait provoquer une prise de conscience subtile quant au respect primordial du vivant et du divin. Alors que nos cultures dites « civilisées » ont abandonné toute pratique rituelle, que nos actes sont en rupture avec le cycle du système solaire, par exemple,… nos modes de vie nous placent d’un autre point de vue dans une situation d’acculture.

Le Poïpoïdrome, […] tire son nom d’un des vocables de la parole Dogon, Poïpoï (ou Poï).
Par exemple :
NAY POÏ : Salut au Soleil.
DI : N’ONI POÏ : Salut à ceux qui ont soif.
VA LA POÏ : Salut de la culture.
YAU POÏ : Salut du feu.
DO : LO POÏ : Salut de fatigue.
BIRE POÏ : Salut de travail.
GELU POÏ : Salut pour les choses reçues.

Extrait issu de la publication La Fondation Poïpoï présente : Hommage aux Dogons et aux Rimbauds.

Par la suite, les artistes ont ouvert ce Centre de Création Permanente en différents lieux et sous différentes formes : le Poïpoïdrome à Espace-Temps Réel Prototype 00, construction inaugurée en même temps que la Fondation Poïpoï en 1975, à Bruxelles ; le Poïpoïdrome à Espace-Temps Réel n°1, réaliséen 1976 à Budapest ; le Poïpoïdrome à Espace-Temps Réel n°2, construit cette fois-ci à Nantes par les étudiants des Beaux-arts de la ville à qui les artistes ont cédé le projet ; le Poïpoïdrome à Espace-Temps Réel n°3, offert aux responsables du Musée d’art moderne de Reykjavik puis créé et autogéré par les artistes islandais en 1978 ; le Poïpoïdrome à Espace-Temps Réel n°4, sous l’intitulé Hommage aux Dogons et aux Rimbauds, installé en 1978 au Centre Georges Pompidou à Paris… Depuis Joachim PFEUFER poursuit le projet et de nombreuses archives ont été déposées au Musée des Beaux-arts de Nantes.

Le Poïpoïdrome au Centre Pompidou avec l’Hommage aux Dogons et aux Rimbauds

Le Poïpoïdrome. Hommage aux Dogons et aux Rimbauds, 1978

Le Poïpoïdrome. Hommage aux Dogons et aux Rimbauds, 1978
Vue de l’exposition

En 1978, le Centre Georges Pompidou invite Robert Filliou à organiser une exposition, avec le souhait d’acquérir une œuvre pour les collections du Musée national d’art moderne. Filliou propose alors d’ouvrir avec son co-inventeur, Joachim PFEUFER, un Centre de Création Permanente, le Poïpoïdrome. Si la structure qui forme le Poïpoïdrome à Espace-Temps Réel Prototype 00, et qui date de 1975, est installée sur le parvis devant l’église Saint-Merri, le public est accueilli plus largement dans les galeries sud du Centre avec l’ouverture du Poïpoïdrome à Espace-Temps Réel 04. Dans l’idée d’une rencontre entre les deux peuples, dogon et français, et pour accueillir le plus grand nombre de visiteurs, les deux artistes demandent que l’entrée au Centre de Création se fasse directement au niveau du parvis du Centre Pompidou et non du Forum.

Après quelques semaines de rencontres avec le public, et avec l’argent destiné à la réalisation de la commande, Filliou part avec PFEUFER en pays dogon où ils rendent visite à DIANGOUNO DOLO, Chef du Canton de SANGA. Les deux artistes avaient rencontré Diangouno Dolo à Amsterdam par l’entremise d’un ami architecte et ethnologue, Herman HAAN, « considéré par les Dogons comme l’un des leurs comme le fut Marcel GRIAULE », rapportent-ils. Ils présentent au peuple dogon le projet et les créations réalisées avec les visiteurs en France. À leur retour, ils adjoignent à la Poïpoïthèque des photographies et autres documents qui témoignent de cette rencontre et nous informent que ce peuple perpétue la transmission de connaissances expertes, en astronomie par exemple.

Ainsi, l’Hommage aux Dogons et aux Rimbauds procède d’un échange entre deux cultures à travers des rencontres, une publication et une double vidéo qui relatent les expériences menées dans les deux sites (France/Mali).

Le Poïpoïdrome. Hommage aux Dogons et aux Rimbauds, 1978

Le Poïpoïdrome. Hommage aux Dogons et aux Rimbauds, 1978
Un des feuillets de la publication accompagnant l’exposition

La publication, postérieure à l’événement, est constituée de deux feuillets doubles. Le premier feuillet présente des documents liés à l’exposition pendant l’été 1978 à Paris ainsi que les activités de la Fondation Poïpoï entre 1975 et 1978. On y découvre le public accompagné des protagonistes invités, présents pendant toute la durée du projet − tels qu'Adrienne LARUE (depuis directrice d’une compagnie de cirque, danse et musique, Le Chapiteau d’Adrienne qui travaille entre la France et l’Afrique du Nord), Suzanne BAUREUL ou encore Chef d’ORGE −, « qui initient les visiteurs à la magie des masques, du maquillage, du chant et de la danse » … Le second feuillet inclut le « Journal de Brousse et fin des Hommages » écrit lors du séjour au Mali.

Le Poïpoïdrome, conçu comme un dispositif lié à un parcours initiatique, ne présentait pas d’œuvres au sens habituel du terme, mais proposait au public de participer à des ateliers d’écriture, des performances, de créer leur costume pour interpréter la « Forêt de Voyelles » en hommage à Arthur RIMBAUD, par exemple, ou bien de consulter les documents laissés à leur disposition.

Un parcours tout en dérive (chronologie) Retour haut de page

Des pérégrinations à « Robert Filliou, poète »…

Résistant sous le nom de Job auprès des Francs-Tireurs et Partisans Français, Robert Filliou a traversé, dans sa jeunesse, la Seconde Guerre mondiale. Installé aux États-Unis en 1948, il entreprend des études en économie politique à l’University of California de Los Angeles, dont il obtient le master en 1951. L’université lui confie une mission en Asie ; il voyage aux Îles de Guam, d’Okinawa et au Japon où il se passionne pour le théâtre Kabuki. À partir de 1951, il élabore et rédige avec d’autres économistes un plan quinquennal de reconstruction et de développement économique et social de la Corée du Sud en tant que fonctionnaire des Nations Unies (ONU) ; fonction qu’il quitte en 1954. Sa rencontre avec le bouddhisme et le choix d’une voie délibérément plus pacifique, plus créative et plus spirituelle le mènent à la poésie. Lorsque sa vocation se précise, il fait inscrire sur son nouveau passeport la mention « Robert FILLIOU, poète ». Dès 1956, la poésie devient le véhicule du changement, de l’utopie.
Il se rend en Egypte (1954), puis en Espagne (1954-1957) où il vit selon les règles de la « juerga », le laisser-aller, puis à Copenhague (1957-1959)… avant de s’installer à Paris en 1959.

Entre Paris et Copenhague (1957-1961) …

Auteur de pièces de théâtre avant-gardistes – Peter Wept (1956), L’anniversaire d’une mouette (1958), C’est L’Ange (1959), Kabou’inema I (1959), Berger rêvant qu’il était roi (1961), L’Esclave F (1963)… –, Filliou a rarement l’occasion de présenter ses pièces. Bien que Le Jeu de l’homme mort (1959) se monte au Théâtre de la Huchette, le projet est interrompu faute de financement.
Sa rencontre avec Daniel SPOERRI (Paris, 1959) lui permet d’élargir son réseau de relations aux arts plastiques : Dieter ROT, Emmett WILLIAMS... Il côtoie les artistes de cette génération qui aiment déconstruire les voies habituelles du marché de l’art (conception, production, diffusion, communication et réception), qui « se félicitaient, rapporte-t-il, de leur aptitude à jouir d’une fantaisie joyeuse et non-spécialisée » et déplaçaient davantage la production artistique vers un art attitude. Il s’en suit effectivement une profusion de créations ingénieuses, plus légères que celles qui nécessitent la mise en place d’un dispositif comme la salle de théâtre ou l’exposition muséale, où l’artiste peut rencontrer son public sans intermédiaire.

Grâce à des carnets d’adresses (le sien et ceux de ses amis), Filliou participe aux premières concrétisations de l’art postal (Mail Art), proposant à de potentiels collectionneurs et amateurs de souscrire à un Suspense poème (1960-61), un « poème-objet », « acheminé à petite vitesse » par envois successifs. En 1960, il crée sa première œuvre plastique sous la forme d’un damier coloré, une affiche comportant le texte d’une pièce de théâtre que l’on peut jouer entre amis selon des principes aléatoires d’indétermination, L’Immortelle mort du monde.

Toujours en 1960, il figure au programme « Poésie d’aujourd’hui » organisé par Jean TARDIEU lors du Festival d’art d’avant-garde à Paris. Après une soirée « Poésie ouverte » (1962) dans la cave de la librairie-galerie Le Fleuve à Paris, il prend part aux premières expériences du Domaine Poétique, ouvert en 1963 à l’American Center de Paris, qui initient et officialisent des collaborations entre artistes des arts visuels, poètes et musiciens free : Bernard HEIDSIECK, Jean-Loup PHILIPPE, Jean-Clarence LAMBERT, François DUFRÊNE, Gherasim LUCA, Brion GYSIN, William BURROUGHS, John BROWN, George MACBETH, Makoto OHKA, Terry RILEY…
 
Parallèlement, il réalise des actions de rue et provoque des rencontres fortuites avec des publics ; il écrit de courts textes, bases pour des scénarii de « poésies d’action ». Ainsi, l’histoire du détournement d’une péniche parisienne avec intervention des forces de l’ordre qui se poursuit, lors du procès attendu, par un long plaidoyer sur la condition d’artiste (Le lion sous la peau du cochon, 1961).
Au printemps 1961, Addi KØPCKE, un ami artiste qui possède une galerie, l’invite pour une première exposition personnelle (« Poï-Poï », galerie Køpcke, Copenhague).

Installé à Paris, rue des Rosiers (1961-1965)...

The Frozen Exhibition, 1972

The Frozen Exhibition, 1972
Pochette en forme de chapeau-melon contenant 35 photos noir et blanc et divers documents rappelant l'exposition de l'œuvre de Filliou la Galerie légitime, présentée à Londres en 1962 lors du festival of Misfits.
Velours, bois, papier, 20,4 x 32 x 0,5 cm

Filliou décide, en janvier 1962, de créer sa propre galerie et la conçoit itinérante : la Galerie Légitime – « légitime », car il considère « légitime que l’art descende, de ses hauteurs, dans la rue ». Une galerie, contenue dans une casquette, parce qu’un chapeau couvre la tête, le cerveau, et que « tout provient du cerveau », estampillée avec le tampon « Galerie Légitime – couvre-chef(s)-d’œuvre(s) », jouant sur la double lecture : chapeau (couvre-chef) qui couvre des œuvres (chefs d’œuvres). Il y présente, donc dans la rue, des créations de petits formats réalisées par ses amis ou les siennes, en l’occurrence des Measurements (des objets comme des tickets de métro ou des boîtes d’allumettes mesurés par des unités inhabituelles telles que des empreintes digitales ou des punaises), des Momified Objects (des objets momifiés, c’est-à-dire ficelés) ainsi que le Jeu recommandé de la Galerie Légitime auquel on gagne à tous les coups parce que les cartes sont truquées...
Il organise aussi des expositions ou « voyages de la Galerie Légitime » : en juillet 1962, il accueille Benjamin PATTERSON qui propose un parcours dans Paris scandé de micro événements ; en octobre 1962, lors de l’exposition « Misfit’s Fair » à Londres, il inaugure « The Frozen Exhibition, oct. 62 - oct. 72 », une « exposition gelée » parce que le vernissage devait durer dix ans, temps habituellement nécessaire, selon lui, pour qu’une production soit diffusée.

Avec les protagonistes FLUXUS (George BRECHT qui conceptualise l’Event, Allan KAPROW le Happening, Dick HIGGINS la notion d’Intermedia ou Wolf VOSTELL les dé-coll/ages…), Filliou développe des recherches fondées sur l’expérimentation et la participation. Ensemble, ils organisent au début des années 1960, en Europe et aux États-Unis, de nombreuses manifestations, des festivals avec concerts et performances d’artistes en connivences (CAGE, ONO, MAC LOW, LA MONTE YOUNG, SCHNEEMAN, PAIK, BEUYS, BROUWN, ANDERSEN, KØPCKE, KNOWLES, MOORMAN, CHRISTIANSEN, BROCK, GOSEWITZ, SCHMIT, BEN, WILLIAMS, HIGGINS, HANSEN, BRECHT, WATTS, RIDDER, PAGE…) autour de George MACIUNAS, à la fois organisateur, designer, galeriste et éditeur de Fluxus.

Robert Filliou produit avec Emmett WILLIAMS une série de Co-inventions comme Au Comptoir (juin 1963, Paris) où, invités par la galerie Raymond Cordier, ils créent une intrigue sur leur « non-apparence », puisqu’ils sont installés de l’autre côté de la Seine au comptoir du café. L’Histoire chuchotée de l’art apparaît sous la forme d’une édition de 12 disques de 3 minutes pour Juxe-Box (éditions Kunstbibliothek, Copenhague, 1963).  
Avec Joachim PFEUFER, il présente, en 1964, le projet du Poïpoïdrome, le premier Centre de Création Permanente, sous forme de maquettes, de plans et de descriptifs qui, en référence au rituel de salutations Dogons, invite à déconstruire notre système de pensée pour aboutir à un espace voué à la méditation (exposition « Arts d’Extrême-Occident » organisée par L’OuLiPo à Verviers) — cf. notice.
Il revisite les maximes de différentes langues en créant avec SPOERRI des « Pièges-à-mots (platitudes en relief) » (1964), des assemblages intitulés par exemple It’s Raining Cats and Dogs ou Les murs ont des oreilles

Toujours en 1964, l’université d’Aix-la-Chapelle organise une représentation de L’Autrisme qu’il qualifie de « secret relatif de la Création Permanente » : « Quoi que tu fasses, fais autre chose ; quoi que tu penses, penses à autre chose… ». Le 1er « Festival de la Libre Expression » organisé par Jean-Jacques LEBEL à l’American Center de Paris l’accueille avec BEN, KUDO, POMEREULLE et WILLIAMS, ainsi que le 1er congrès mondial « Happenings » (1965) à New York. Ses pièces de théâtre C’est l’Ange et Berger rêvant qu’il était roi se jouent au café-théâtre de La Vieille Grille (1965), cabaret devenu l’annexe des acolytes de l’American Center.
Il remanie ses textes de théâtre ou de poésies d’action pour les publier dans des revues (Phantomas, Bruxelles ; KWY, Paris…) et fait paraître Ample Food for Stupid Thought, une succession de questions à la fois communes et absurdes qui revisitent nos idéaux, nos lâchetés… (éditions Something Else Press, Dick Higgins, NY, 1965).

Installé à Villefranche-sur-Mer – La Cédille qui Sourit (1965-1968)…

Avec George BRECHT, Filliou décide de créer une « ville des arts, tel un centre de recherches, d’idées ». C’est finalement, dans le sud de la France, à Villefranche-sur-Mer, qu’ils ouvrent ce « Centre international de Création Permanente », rebaptisé La Cédille qui Sourit. S’ils ont effectivement suggéré à la municipalité de devenir « partisans d’un Villefranche des arts » et que la presse s’en fait l’écho, l’expérience de La Cédille qui Sourit reste celle d’une « non-école », comme le stipule le papier en-tête : « NON-ÉCOLE DE VILLEFRANCHE - Conçue à toutes fins utiles et inutiles - (…) Échange insouciant d’information et d’expérience - Ni élève, ni maître - Parfaite licence - Parfois parler, parfois se taire ». La Cédille qui Sourit est aussi un « atelier-boutique », un lieu expérimental de diffusion et d’amitiés qui « achemine tout ce qui s’écrit avec ou sans cédille, Poèmes-suspense, diffuse des œuvres originales, objets-poèmes » ; elle « est dépositaire des Éditions MAT, MAT-MOT, Fluxus, Something Else Press, Mouna Frères ». En 1966, La Cédille expose des créations de Ben VAUTIER.

Movie Re-Invented - Hommage à Méliès (prochainement sur cet écran), 1968

Movie Re-Invented - Hommage à Méliès (prochainement sur cet écran), 1968
Réalisé à partir d'une sélection des One Minute Scenarios
Film cinématographique 16 mm noir et blanc, silencieux, durée : 6'47"

La Cédille sollicite de nombreux artistes pour une Tentative de rajeunissement de l’art d’offrir en réalisant de petites « inventions » ou « désinventions » : « ARMAN a fait, par exemple, une demi-livre d’un demi-livre, la moitié d’un livre pesant 250 grammes ; TOPOR une feuille de calendrier sur laquelle il a écrit « jour vécu » ; Andrée THOREAU un livre intitulé « Soixante Fois Victor Hugo », dont chacune des 30 pages est un billet de 5 francs… ». L’ensemble des cadeaux vendus à un prix symbolique est présenté Galerie Jacqueline Ranson (« Offerines Inattendues », Paris, 1966-1967).
En revisitant le réseau de distribution des œuvres, BRECHT et Filliou réalisent avec leur ami Bob GUINY un film 16 mm qu’ils envoient à la télévision française, lequel propose de petites scènes susceptibles d’occuper les temps d’interruption entre les programmes – Movie Re-invented / Hommage à Méliès (prochainement sur cet écran) ; un film conçu dans l’esprit des One Minute Scenarios, par exemple : « Un homme attend son train. À ses pieds, il y a une mallette. Celle-ci est transparente. À l’intérieur, des lilliputiens regardent par la fenêtre ».

Toutes les expériences menées à cette époque sont relatées dans le livre Games at the Cedilla or The Cedilla Takes Off / Jeux à la Cédille ou fermeture de la Cédille (éditions Something Else Press, NY, 1967) tel « un rassemblement de recherches esthétiques, conçu exactement de la même manière qu’un compte rendu d’expériences par un savant, et dans le même esprit » : correspondances, events, One Minute Scenarios, poèmes, performances, jeux, anthologie internationale de blagues, articles de presse… ; ainsi qu’à l’occasion d’expositions comme « The Poetic Science » au Moderna Museet de Stockholm (1968) ou « La Cédille qui Sourit » au Museum Abteiberg de Mönchengladbach (1969).

Et pour marquer leur inscription au sein d’un réseau très vaste, lorsque Filliou et BRECHT annoncent la fermeture du lieu en 1968 pour cause de Banqueroute, ils révèlent par voies d’affichages et d’envois postaux l’ouverture de The Eternal Network/La Fête permanente — cf. notions clés.
Parmi les nombreux visiteurs du centre, on compte ARMAN, Pierre RESTANY, Serge OLDENBOURG, Takako SAÏTO… Richard TIALANS, qui vient de fonder à Liège le Théâtre de la Circonstance, et qui assure, à partir de 1966, la mise en scène et la diffusion au sein de sa revue AA des pièces de Filliou.

Parallèlement aux activités de La Cédille, Filliou réalise en 1966, à la galerie Ranson (Paris), l’« Exposition intuitive (avec matériaux et sans matériau, presque) », où il propose, après l’art de la « composition » au 19e siècle et celui de « l’invention logique » au début du 20e siècle avec les Ready-mades de Marcel DUCHAMP, d’instaurer le règne de « l’invention intuitive ». Des objets du quotidien, rebaptisés Reliques anticipées, sont décrétés inutiles dans un futur anticipé grâce à l’intuition, un sixième sens qui élargit les champs du monde sensible à l’irrationnel. Des Télégrammes (agrandis, marouflés sur bois, superposés et présentés parfois avec un outil suspendu au télégramme) livrent des messages ponctués de paradoxes spatio-temporels. Filliou spécifie sur les préimprimés, une origine « intuitive », la mention « sans matériau presque » et les adresse à « you wherever you are / vous où que vous soyez », avec des textes comme « somewhere somehow this is a blue bird » ou « tu te précèdes, tu te reflètes et tu te suis »…

En 1967, il commence à rédiger son livre Teaching and Learning as Performing Arts (éditions König, Cologne/NY, 1970), synthèse de ses réflexions et propositions, avec la participation de CAGE, PATTERSON, KAPROW, Marcelle FILLIOU, Vera, BJÖSSI et Karl ROT, Dieter ROT, IANNONE, BEUYS et le lecteur, associé comme « co-auteur ».
Avec Scott HYDE, grâce à la complicité de WARHOL, il expose, dans les vitrines du magasin Tiffany, des photographies de mains d’artistes avec l’idée qu’il est peut-être plus judicieux de lire les lignes de la main d’un artiste pour interpréter son travail que de se fier aux commentaires des critiques (« Hand Show – The Key to Art ? », NY, 1967).
Enfin, toujours au cours de cette année 1967, il participe à une contre-manifestation organisée par Ben VAUTIER en réaction à une exposition de l’« École de Nice », le « Hall des remises en question », en concevant un Hommage à l’esprit d’escalier et La réhabilitation des génies de café où l’esprit va plus vite et dérive en toute spontanéité.

Installé à Düsseldorf (1968-1974)…

Optimistic Box n° 1, 1968

Optimistic Box n° 1, 1968
Sous-titre : Thank God for modern weapons

Bois, grès, papier, 11 x 11 x 11 cm

Grâce à l’argent réuni par SPOERRI, ROT, GERSTNER, BURY et THOMKINS pour vivre pendant plusieurs mois, la famille Filliou quitte Villefranche pour se rendre à Düsseldorf. Dès son arrivée, Alfred SCHMELA renouvelle la volonté d’exposer le travail de Robert qui termine son œuvre majeure, Principe d’Équivalence : bien fait, mal fait, pas fait, et l’exposition « Création Permanente » s’ouvre en 1969 (galerie Schmela, Düsseldorf). Wolfgang FEELISCH, qui devient l’un des collectionneurs et mécènes de l’artiste, édite rapidement le projet des 4 Optimistic Boxes (éditions VICE-Verlag, Remscheid, 1968-1969). Parallèlement, Filliou collabore avec la galerie Hansjörg Mayer pour l’édition d’une affiche, Futura 26, avec un pliage du chapeau de la Galerie Légitime dont le propriétaire devient une « branche autonome n°… », comme le précise le tampon (1968, Stuttgart).

À Aix-la-Chapelle, Liège et Maastricht, il organise des conférences de presse pour annoncer la constitution de COMMEMOR (Commission Mixte d’Échange de Monuments aux Morts) et obtenir des soutiens d’idées et de solidarité ; il y présente un échange symbolique de monuments aux morts par le truchement de photomontages ; échange qui introduit l’environnement « Contribution à l’art de la paix » (Neue Galerie, Aix-la-Chapelle, 1970).
Après une présentation de ses œuvres par la galerie Werner (Cologne, 1970), la galerie Schmela (Düsseldorf, 1970) puis la galerie Block (Berlin, 1971) exposent la série Joint Works of Robert Filliou and… composée d’assemblages réalisés sous l’influence d’éléments tels que « la pluie et le soleil ; le nord, l’est, le sud et l’ouest ; la mémoire de l’enfance ; la défiance (avec le cœur assiégé) ; la joie ; de bonnes résolutions… ». Et sur le modèle des non-anniversaires de Lewis CARROLL, Filliou invente l’« année des 365 1er Avril » (exposition « Artiste d’Avril », galerie Ben doute de tout, Nice, 1971).

Düsseldorf ist ein guter Platz zu schlafen, 1972

Düsseldorf ist ein guter Platz zu schlafen, 1972
Film cinématographique 16 mm couleur, silencieux, durée : 2'

À Düsseldorf, il a retrouvé Marcel BROODTHAERS, rencontré en 1967 à Anvers, avec lequel il noue une forte amitié et qui va impulser, avec le Düsseldorf Film Group (Ole JOHN, Hartmut KAMINSKI, Tony MORGAN…), des projets autour du cinéma expérimental, notamment la série d’assemblages Research on Film Making initiée en 1971.
De son côté, CAGE le sollicite pour son livre Notations (éditions Something Else Press, NY, 1969) et GERSTNER pour la publication de Do It Yourself Kunst (éditions Galerie Der Spiegel, Cologne, 1970). FLUXUS trouve un nouveau souffle avec l’exposition « happening & fluxus » qu’Harald SZEEMANN consacre à ses différents protagonistes (Kunstverein, Cologne, 1970).

Alors qu’Anny de DECKER l’invite à exposer, il revisite ses créations pour constituer l’« Exhibition for the 3d Eye / Exposition pour le 3e Œil » (galerie Wide White Space, Anvers, 1971). Puis l’année suivante, il participe à la « Documenta V » à Kassel et à la 36e « Biennale de Venise ».
En 1973, dix ans après son Histoire chuchotée de l’art, il invite à fêter le « 1 000 010e Anniversaire de l’art » avec « une journée sans art », « car voici un million et dix ans ART était VIE et dans un million et dix ans il le sera encore », en signant le texte de cette invitation « R.Filliou, né 999 963 a.a. (après l’art) ».

Après Research on Pré-Biology présenté à la galerie Multhipla (Milan, 1973), alors qu’il s’est installé à Berlin, il réalise, sur une toile de près de 90 mètres de long, sa Recherche sur l’origine (1974), réflexion sur le « Non-Né », la création et l’expansion de l’univers décrite selon le Principe d’Équivalence. Proposition suivie par la présentation de « Recherche sur le pas fait », galerie Bama (Paris, 1974).

Les recherches du Territoire de la République Géniale (1971-…)…

Lorsqu’Edy de WILDE, conservateur au Stedelijk Museum, propose à Filliou de l’exposer, celui-ci décide d’ouvrir une recherche, « Research at the Stedelijk » (1971), en transformant la salle du musée en Territoire de la République Géniale avec, comme seule pièce, un panneau indiquant l’existence de la République ; les échanges avec le public sont exposés au fur et à mesure de la manifestation — cf. notions clés.
Plus tard, l’ensemble 9 Weeks of Research on Futurology / 9 semaines de recherches en futurologie présente des créations issues du Territoire n°0 de la République Géniale, territoire préalable à celui fondé à Amsterdam, avec des constats et propositions pour réagir aux problèmes actuels (galerie Schmela, Düsseldorf ; galerie Wide White Space, Anvers ; 1972).

Installé chez Bob GUINY à Saint-Jeannet, il fonde le Territoire n°2 de la République Géniale dont les investigations sont présentées Gallery House (Londres, 1972) et les « Recherches en relations extérieures » à la galerie Bertesca (Milan, 1972). Enfin, l’Eternal Network se voit consacré une recherche par la République Géniale (exposition « Aktionen der Avantgarde », Neuer Berliner Kunstverein, 1973).
Puis pour financer l’activité de The Ding Dong Territory of The Genial Republic, qu’il installe dans le territoire nomade d’un mini-bus car « la carte n’est pas le territoire », il rassemble ses textes de poésies d’action (1958-1965) dans une valise, Research in Dynamics and Comparative Statics - 16 704 cm3 de pré-territoire de la République Géniale, qu’il édite à 30 exemplaires (éditions Lebeer-Hossmann, Bruxelles, 1972-1973).
Filliou, de retour en France à Flayosc, rebaptise sa maison, un moulin, Territoire de la République Géniale (1975).

Entre Flayosc, en France, et le Canada (1975-1980)…

C’est en 1975, à l’occasion d’« Europalia 75 », que Filliou rédige avec Joachim PFEUFER les statuts de la Fondation Poïpoï, parallèlement à la construction du Poïpoïdrome à espace-temps réel – Prototype 00, une architecture métallique qui reprend le plan du parcours initiatique de 1963, composé d’une succession de salles agencées en spirale : pré-poïpoï, anti-poïpoï, post-poïpoï, poïpoïthèque, atelier poïpoï et poïpœuf (Bruxelles, 1975) — cf. notice.

Telepathic Music n°2

Telepathic Music n°2
Film cinématographique 16 mm couleur, silencieux, durée : 2'37"

Les premières Telepathic Music voient le jour (galerie Gibson, Londres, 1976) — cf. notices. Au cours de l’année 1977, Filliou inaugure la série Dessins sans voir – Desseins sans savoir, dessins réalisés les yeux fermés (galerie Léger, Malmö et galerie Fassbender, Münich) ; la « Boutique Aberrante » de SPOERRI édite Poussière de poussière de l’effet…, des chiffons qui ont recueilli la poussière déposée sur des tableaux consignés dans une boîte avec la photo de l’œuvre dépoussiérée ; avec Edwige REGENWETTER, mathématicienne, qui livre une analyse logique d’une œuvre, un siège sans assise, il édite le livre Le Siège des idées (éditions Lebeer-Hossmann, Bruxelles).
La galerie Malacorda présente ses Mensonges de la palisse qui jouent sur des contrevérités, « le bon sens du non-sens » (Genève, 1978).

En 1978, en lieu et place de la rétrospective que le Centre Pompidou lui propose, il ouvre avec PFEUFER l’Hommage aux Dogons et aux Rimbauds où le public crée, à partir des propositions faites par les artistes et leurs invités, des performances et des objets exposés sur place ; un voyage en pays dogon concrétise l’échange des cultures — cf. notice.

Entre 1977 et 1981, il multiplie les voyages au Canada (Calgary, Montréal, Vancouver, Toronto) et crée, au sein d’un réseau d’artistes sensibles à ses recherches sur l’Eternal Network, une série de vidéos expérimentales — cf. notices.

Peyzac-le-Moustier (1980-1985) et Chanteloube (1985-1987)…

Sans objet, 1984

Sans objet, 1984
Brique présentée à la verticale et conditionnée dans une boîte en carton
25,2 x 12,5 x 6,5 cm

En 1980, Robert Filliou quitte Flayosc pour s’installer en Dordogne, à proximité des grottes de Lascaux et d’un centre d’études de bouddhisme tibétain. L’année 1981 reste tout aussi riche d’événements malgré un cancer et une opération qui s’en suit. Ainsi, fonde t-il sa propre maison d’édition, Les Éditions Friandes d’Ailes dont la ligne éditoriale est une brique éditée à exemplaire unique chaque fois avec des assemblages différents, et commence à signer FILLLIOU. Avec l’exposition « Seeing + on the all Sides / voyant + partout », il rend hommage à l’Eternal Network en signifiant le « pauvre privilège du poète » (galerie Bama, Paris). Il rend publique la série Objet sans objet (galerie Issert, Saint-Paul de Vence). Jean DUPUY le sollicite pour des actions filmées qui sont notamment insérées dans Pub Anthology ABC
Il présente la nouvelle série d’installations Briquolages (galerie Malacorda, Genève, 1982 ; Bama, Paris, 1984). Il est aussi représenté lors du festival de poésie directe « Polyphonix 4 » au Centre Pompidou (Paris, 1982-83).

Au début des années 1980, Robert FILLIOU consacre beaucoup d’énergie à proposer ou initier un art de la paix, parce que « la paix est un art ». Il traduit avec FABRI et BRECHT sur une calligraphie de SAÏTO les poèmes de SENG TS’ANG, troisième patriarche du bouddhisme zen (Hsin Hsin Ming, éditions Lebeer-Hossmann, Bruxelles). Avec Hank BULL, il fonde l’association The Afro-Asiatic Combine dédiée à la « recherche de l’influence de la pensée contemporaine africaine et asiatique sur la culture occidentale » (1983). Professeur invité à l’Académie des Beaux-arts de Hambourg, il conçoit avec ses étudiants Artistes dans l’espace – with love from Cromagnon and to Cromagnon adieu, une participation artistique à la pacification de la conquête de l’espace (1982-1984). Avec Joseph BEUYS, il s’investit auprès de sa Sainteté le DALAÏ-LAMA dans le projet d’une « Biennale Art de la Paix », ouverte en 1985 à Hambourg.

En 1983, la ville de Hanovre lui décerne le Prix Kurt Schwitters et, en 1984-85, les villes de Hanovre, Paris et Berne lui consacrent une première rétrospective. Il travaille au projet d’une exposition pour financer l’agrandissement de l’Institut CURIE (« À Pierre et Marie – une exposition en travaux », Chapelle de l’Institut Curie, Paris, 1984). Il participe à « Skulptur Projekt », un parcours de propositions sculpturales dans l’environnement urbain (Münster, 1987).

Au printemps 1985, Robert et Marianne FILLLIOU partent pour 3 ans, 3 mois, 3 jours en retraite au Centre d’études tibétaines de Chanteloube. Robert Fillliou rentre à Peyzac-le-Moustier et décède le 2 décembre 1987 des suites d’un cancer.

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